Les "risques psychosociaux" sont dans toutes les bouches et dans toutes les têtes dans toutes les organisations. Pourtant, lors de mes interventions, je fais le constat que, pour les dirigeants, les représentants du personnel ou les salariés, cette notion est relativement abstraite. On l'associe spontanément au stress ou au burnout, mais ça va rarement plus loin.
🎯Cet article vise à donner des clés de compréhension sur les facteurs de risques et les différentes approches de prévention.
Les facteurs de risques psychosociaux, kezako ?
Qu’est-ce que le rapport Gollac ?
💡Rapport du Collège d'expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, remis en avril 2011 par Philippe Askenazy, Christian Baudelot, Patrick Brochard, Jean-Pierre Brun, Chantal Cases, Philippe Davezies, Bruno Falissard, Duncan Gallie, Michel Gollac, Amanda Griffiths (membre associée), Michel Grignon, Ellen Imbernon, Annette Leclerc, Pascale Molinier, Isabelle Niedhammer, Agnès Parent-Thirion, Daniel Verger, Michel Vézina, Serge Volkoff, Annie Weill-Fassina.
La rédaction de ce document a été assurée par Michel Gollac et Marceline Bodier à partir des discussions du Collège et de documents élaborés par différents membres du collège et par les auteurs des revues de littérature.
Ce rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail analyse les facteurs psychosociaux de risques professionnels. Il propose un système de suivi statistique basé sur six axes principaux (intensité du travail, exigences émotionnelles, autonomie, rapports sociaux, conflits de valeurs, insécurité de la situation de travail), décrivant des méthodes de mesure et des outils d'observation.
📝L'étude intègre des perspectives de plusieurs disciplines (ergonomie, gestion, psychologie, médecine du travail, droit) et prend en compte les travailleurs salariés et non-salariés. Enfin, il souligne l'importance de compléter les données quantitatives par des analyses qualitatives pour une meilleure compréhension des phénomènes.
Qu’est-ce qu’un facteur de risque ?
Un risque, dans le contexte de la santé au travail, implique deux éléments :
la probabilité qu’un événement engendre des conséquences négatives
la sévérité de ces conséquences
📌Il ne suffit donc pas qu'un événement soit désagréable pour être considéré comme un risque. Il faut qu'il y ait une probabilité qu'il cause des dommages importants, que ce soit sur le plan physique, mental ou social.
📌 En ce qui concerne les risques psychosociaux, la notion est plus complexe car elle fait intervenir l’interaction entre une situation sociale et le fonctionnement mental.
Par exemple, un travail très intense peut être un facteur de risque, mais l'impact sur la santé d'un individu donné dépendra de sa capacité à gérer le stress, de son niveau de soutien social, etc.
De même, l'insécurité de l'emploi est un facteur de risque psychosocial, mais ses effets seront plus ou moins importants selon la personnalité de l'individu, ses ressources financières, etc.
📝Il est important de noter qu'un facteur de risque n'entraîne pas automatiquement des conséquences négatives. Il s'agit d'une probabilité, et non d'une certitude. La présence d'un facteur de risque augmente la probabilité de dommages, mais ne les garantit pas.
Les 6 familles de facteurs de risque mis en exergue dans le rapport Gollac
1.Intensité du travail et temps de travail
🔖Cette catégorie englobe des concepts tels que la "demande psychologique" (mesurée par le questionnaire de Karasek) et "l'effort" (mesuré par le questionnaire de Siegrist). Elle prend en compte la charge de travail, les contraintes de temps, la complexité des tâches et le sentiment de devoir fournir un effort important.
2. Exigences émotionnelles
🔖Ce facteur se réfère aux situations où le travail implique de gérer ses propres émotions et celles des autres. Le contact avec le public, la gestion de conflits interpersonnels et le travail dans des environnements émotionnellement chargés sont des exemples de situations exigeantes sur le plan émotionnel.
3. Autonomie insuffisante
🔖Ce facteur concerne le manque de contrôle sur son travail, la liberté de décision limitée et la faible participation aux décisions qui affectent le travail. Un manque d'autonomie peut engendrer un sentiment de frustration, d'impuissance et de stress.
4. Mauvaise qualité des rapports sociaux au travail
🔖Cette catégorie met l'accent sur les relations avec les collègues, la hiérarchie et l'organisation dans son ensemble. Un manque de soutien social, des conflits interpersonnels, un manque de reconnaissance et un sentiment d'injustice peuvent affecter négativement le bien-être des travailleurs.
5. Conflits de valeurs
🔖Ce facteur se produit lorsque les valeurs personnelles du travailleur sont en contradiction avec les exigences du travail. Par exemple, un travailleur peut ressentir un conflit de valeurs s'il est obligé de réaliser des tâches qu'il juge contraires à son éthique ou s'il est confronté à des pratiques qu'il considère injustes.
6. Insécurité de la situation de travail
🔖Cette catégorie comprend l'insécurité de l'emploi, les risques de licenciement, les changements organisationnels fréquents et le manque de perspectives de carrière. L'incertitude quant à l'avenir professionnel peut générer de l'anxiété et du stress.
📝Le rapport souligne que la mesure de ces facteurs de risques psychosociaux doit être exhaustive, tout en tenant compte des contraintes techniques et économiques. Il est important de noter que ces six axes ne sont pas les seuls possibles, mais ils représentent une catégorisation pertinente et largement utilisée dans la recherche sur la santé au travail.
Les différents niveaux d’intervention en prévention des risques psychosociaux au travail
Prévention primaire
🎯L'objectif de la prévention primaire est d'éliminer ou de réduire les facteurs de risque psychosociaux à la source. Cela implique d'agir sur l'organisation du travail et les conditions de travail pour créer un environnement de travail plus sain et plus sûr.
Voici quelques exemples d'interventions de prévention primaire:
📌Améliorer l'organisation du travail: Cela peut inclure la réduction de la charge de travail, la clarification des rôles et responsabilités, la mise en place de procédures de travail claires, l'amélioration de la communication interne, etc.
📌Promouvoir l'autonomie et la participation des travailleurs: Il s'agit de donner aux travailleurs plus de contrôle sur leur travail en les impliquant dans les prises de décisions, en favorisant le travail en équipe et en encourageant l'initiative.
📌 Améliorer les relations sociales au travail: Il est important de créer un climat de travail positif et de soutien en favorisant la communication, la coopération et le respect entre les collègues et la hiérarchie.
📌Offrir un soutien adéquat aux travailleurs: Cela peut inclure la mise en place de programmes d'aide aux employés, la formation des managers aux pratiques managériales favorisant la santé et et le bien-être au travail.
Prévention secondaire
🎯La prévention secondaire vise à soutenir les travailleurs qui sont exposés à des facteurs de risque psychosociaux afin de prévenir l'apparition de problèmes de santé. Elle s'adresse aux individus ou aux groupes de travailleurs qui présentent des signes de stress, d'anxiété ou d'autres difficultés liées au travail.
Voici quelques exemples d'interventions de prévention secondaire :
📌Formation à la gestion du stress: Apprendre aux travailleurs des techniques de gestion du stress et de relaxation pour mieux faire face aux exigences du travail.7
📌Groupes de parole et de soutien: Permettre aux travailleurs de partager leurs expériences et de recevoir du soutien de leurs pairs.
📌Accompagnement individuel: Offrir un soutien psychologique personnalisé aux travailleurs en difficulté.
💡Il est important de noter que la prévention secondaire ne doit pas se substituer à la prévention primaire. Elle doit être utilisée en complément pour aider les travailleurs à faire face aux situations difficiles en attendant que les causes profondes des risques psychosociaux soient traitées.
Prévention tertiaire
🎯La prévention tertiaire a pour objectif de restaurer la santé des travailleurs dont la santé a été affectée par des facteurs de risque psychosociaux. Elle intervient lorsque des problèmes de santé mentale ou physique liés au travail sont déjà présents.
Voici quelques exemples d'interventions de prévention tertiaire :
📌 Soins médicaux et psychologiques : Offrir un accès à des professionnels de la santé pour traiter les problèmes de santé liés au travail.
📌 Programmes de réadaptation : Aider les travailleurs à se rétablir et à retrouver leur capacité de travail.
📌 Accompagnement au retour au travail : Faciliter la réintégration des travailleurs après un arrêt de travail pour des raisons de santé.
💡Le choix des interventions de prévention dépend de la nature des risques psychosociaux présents, des caractéristiques de l'entreprise et des besoins des travailleurs. Il est essentiel d'adopter une approche globale qui prenne en compte tous les niveaux de prévention pour créer un environnement de travail sain et favorable au bien-être des travailleurs.
Les principaux obstacles qui empêchent l'adoption de stratégies de prévention primaire efficaces pour les risques psychosociaux (RPS)
💡La prévention primaire est la plus efficace, car elle intervient en amont des "dégâts". Pourtant, c'est la moins mobilisée. Voici quelques pistes d'explications :
🔖Manque de marge de manœuvre perçu : les représentants de la direction, en particulier, ont le sentiment de ne pas avoir suffisamment de marge de manœuvre pour intervenir sur les causes organisationnelles des RPS, comme l'organisation du travail ou les pressions du groupe. Ils trouvent plus facile de "régler" des problématiques individuelles.
🔖Crainte des revendications : Il existe une crainte que l'ouverture de discussions sur le travail avec les salariés, notamment avec les représentants du personnel, ne conduise à des revendications et à des négociations. Cela met les représentants de la direction dans une position d'insécurité, les encourageant à se concentrer sur des solutions individuelles.
🔖Dialogue social insuffisant : la coopération entre les différents acteurs de la santé au travail est souvent insuffisante. Il existe des tensions et un manque de confiance, ce qui empêche un partage d'informations et une action collective efficace.
🔖Sentiment d'incompétence : les acteurs internes se sentent souvent incompétents pour s'attaquer aux RPS, en raison de la subjectivité perçue du problème et d'un manque de formation sur la question. Ils se sentent plus à l'aise pour gérer des cas individuels.
🔖Manque de latitude : les acteurs de la santé au travail ont souvent le sentiment de manquer de latitude pour trouver des solutions collectives aux RPS. Ils se sentent plus limités dans leur capacité d'agir sur l'organisation du travail que sur les individus.
🔖Culture de la conflictualité : l'absence de culture de la conflictualité sur le travail rend difficile la mise en place d'un dialogue constructif sur les RPS. Les discussions sont souvent polarisées et axées sur des positions préétablies, ce qui empêche la recherche de solutions communes.
De l'importance de sortir des approches individuelles et psychologisantes
💡Il est crucial de dépasser les approches individuelles dans la prévention des risques psychosociaux pour plusieurs raisons clés :
📌Efficacité limitée : les interventions individuelles, comme la gestion du stress, ne s'attaquent qu'aux symptômes et non aux causes profondes des RPS. Elles peuvent aider les individus à mieux gérer les pressions, mais elles ne modifient pas les conditions de travail qui génèrent ces pressions.
📌Responsabilisation individuelle : en se focalisant sur l'individu, on risque de responsabiliser les salariés pour des problèmes qui sont souvent liés à l'organisation du travail. Cela peut conduire à une culpabilisation et une stigmatisation des personnes en difficulté, sans remettre en cause les facteurs organisationnels qui contribuent à leur mal-être.
📌Obstacle à la prévention primaire : la prédominance des approches individuelles contribue à la sous-utilisation de la prévention primaire, qui est pourtant considérée comme la plus efficace. En se concentrant sur les individus, on risque de négliger les actions collectives qui visent à modifier les conditions de travail et à prévenir l'apparition des RPS.
📌Déni des causes organisationnelles : l'accent mis sur l'individu peut masquer les causes organisationnelles des RPS, comme les contraintes de travail, les relations de travail difficiles, les changements organisationnels ou les pressions du groupe. Cela empêche de s'attaquer aux racines du problème et de mettre en place des solutions durables.
📌Risque de "despotisme compassionnel": Yves Clot met en garde contre le risque de "despotisme compassionnel", où les organisations mettent en place des espaces de parole et d'écoute sans pour autant modifier les conditions de travail. Cette approche peut donner l'illusion d'une prise en charge, mais elle ne s'attaque pas aux causes réelles de la souffrance au travail.
📝Sortir des approches individuelles implique de s'engager dans un dialogue social constructif sur le travail réel et ses contraintes, impliquant tous les acteurs de la santé au travail : direction, représentants du personnel, médecins du travail, etc
Conclusion
📝En conclusion, bien que la notion de risques psychosociaux soit désormais largement reconnue, il subsiste une lacune importante dans la compréhension et la gestion des facteurs qui y contribuent au sein des organisations.
Le rapport Gollac offre une perspective précieuse en identifiant six familles de facteurs de risque et en soulignant l'importance d'une approche préventive à plusieurs niveaux.
🔓L'enjeu est de promouvoir une culture du dialogue social, où tous les acteurs sont impliqués dans la transformation des organisations pour améliorer les conditions de travail. En délaissant les approches purement individuelles et en s'attaquant aux causes organisationnelles des RPS, il est possible non seulement d'améliorer le bien-être des salariés, mais également de favoriser une performance durable pour l'entreprise. Pour avancer dans cette démarche, il est impératif que les dirigeants, les représentants du personnel et les salariés collaborent étroitement afin de bâtir un environnement de travail sain, respectueux et propice à l'épanouissement professionnel.
Ressources
POUR ALLER PLUS LOIN
👉Je réalise des diagnostics Qualité de Vie et Conditions de Travail et j'accompagne les dirigeants et les managers, sous différents formats (atelier, form'action, codéveloppement professionnel, ...), pour intégrer la QVCT dans leurs pratiques professionnelles.
👉 J'accompagne les réflexions sur les organisations de travail et les pratiques managériales
👉Je réalise des interventions relatives à la santé au travail en combinant l'approche par les risques professionnels et l'approche clinique visant à identifier les ressources des collectifs permettant de protéger la santé
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